la revue fiscale du patrimoine

63 dans le partage. Par ailleurs, le texte s’applique également aux libéralités entre vifs : exigerait-on que le bien donné fût indivis entre donateur et donataire ? De même, exclurait-on cette faculté à l’occasion d’un partage testamentaire dont la raison d’être est de prévenir l’indivision ? L’esprit . – La loi entend faciliter la reprise de l’entreprise familiale en évitant que le gratifié impécunieux ne puisse la reprendre alors que le testateur diri- geant l’avait jugé apte. Faute pour l’enfant de pouvoir indemniser ses cohéri- tiers réservataires, l’entreprise devrait alors être cédée à tiers. Exiger la pré- existence d’une indivision serait un non-sens lorsque le legs d’attribution vise à prévenir cette situation économiquement inopportune, génératrice d’inertie, donc de mauvaise gestion. • L’aménagement des modalités de paiement ne peut porter que sur une in- demnité due à raison du caractère réductible de la libéralité, à l’exclusion de la restitution due au titre du rapport. Or, le legs d’attribution est rapportable (pour le tout) et, à ce titre, aucuns délais de paiement ne paraissent pouvoir être imposés Note 100 . La portée de l’imputation sur la réserve globale prend ici un intérêt particulier. En effet, une fois que le legs de l’entreprise excède la réserve individuelle du légataire, il s’impute sur la réserve des autres héritiers et devient alors réductible Note 101 avant même une imputation sur la quotité disponible, la- quelle est préservée par la stipulation dérogatoire permise à l’article 919-1 du Code civil. Le legs après avoir épuisé la réserve du gratifié reste, certes rappor- table, mais est également réductible, de telle sorte que les héritiers du gratifié peuvent se prévaloir de deux causes de restitution Note 102 , sans pouvoir toutefois l’exiger deux fois. Lorsque la libéralité est à la fois rapportable et réductible, il appartient, en principe, aux cohéritiers créanciers de l’indemnité de choisir à quel titre ils demandent le paiement de celle-ci : rapport ou réduction Note 103 . • On imagine difficilement les cohéritiers se prévaloir d’une indemnité au titre de la réduction qui pourrait être assortie de délais de paiement imposés par le testateur ou le juge, en application de l’article 924-3 du Code civil. Dès lors, le testateur peut-il imposer aux héritiers réservataires non gratifiés de ne se pré- valoir que de l’un de leurs titres (non cumulables), leur donnant ainsi un droit de créance unique sur la partie de l’indemnité à la fois rapportable et réductible ? Nous le pensons puisque les règles du rapport ne sont pas d’ordre public. On ne voit pas ce qui interdirait au de cujus de prévoir, dans son testament, une charge consistant en l’obligation d’octroyer, au moment du partage, des délais de paiement à l’enfant gratifié en avancement de part, dès lors qu’il n’est pas porté atteinte à l’ordre public réservataire. Or, en raison de la nature du bien légué, de son intérêt économique, la loi elle-même fléchit cet ordre public en autorisant une délivrance différée de la réserve Note 104 . Il en résulte que des dé- lais de paiement peuvent être octroyés à l’enfant légataire de l’entreprise dans la limite de 10 années à compter du décès, avec application de l’indexation prévue à l’article 828 du Code civil, en cas de variation de valeur de plus d’un quart « par suite des circonstances économiques » Note 105 . Ainsi, l’entrepreneur, animé par l’idée de prévenir un décès accidentel, pourra-t-il organiser dans son testament une transmission équivalente à celle envisagée entre vifs au profit d’un enfant repreneur, à charge pour lui de verser une soulte à ses codona- taires. Il pourra même l’imposer. c) Testament ou partage testamentaire 48. - Testament ou testament-partage . – L’entrepreneur peut imposer la répartition de ses biens pour après sa mort. Ce partage autoritaire de la suc- cession suppose un testament-partage. Une répartition équivalente des biens du de cujus peut également être ordonnancée par une série de legs rappor- tables. Mais le partage testamentaire se distingue de cette série de legs. Dans le premier cas, la répartition réalisée s’impose aux enfants qui viennent à la succession, non en qualité de légataires, mais en qualité d’héritiers Note 106 : ces derniers peuvent renoncer à la succession, mais s'ils l'acceptent, ils doivent se soumettre à la répartition imposée par leur auteur (C. civ. , art. 1079). Dans le second cas, les héritiers sont également légataires et disposent pour chacune de leurs vocations successorales d’un droit d’option distinct (C. civ. , art. 769, al. 2) . Ils peuvent alors s’entendre pour renoncer à la répartition proposée par le testateur (décliner les legs) et décider ensuite eux-mêmes d’une autre répar- tition des biens du de cujus dans le cadre d’un partage successoral. ATTENTION Une difficulté vient de ce que la loi ne soumet le partage testamentaire à aucune forme particulière ni à aucune formule sacramentelle (C. civ., art. 1075, al. 2) . Aussi, le testateur pourrait-il, sans le savoir – et peut- être sans le vouloir – imposer le menu figurant de son testament. Le mort ne parle plus. Le conseil doit inviter le testateur – qui parle encore – à la plus grande clarté afin d’éviter que sa volonté relève de l’appréciation souveraine juges du fond Note 107 . Il sera invité à écrire (tes- tament olographe) ou à dire (testament authentique) clairement si la ré- partition des biens contenue dans son acte de dernières volontés s’im- pose à ses héritiers ou est proposée à ses légataires Note 108 . D’autant plus que l’importance de la valeur de l’entreprise dans le patrimoine global sera un élément d’appréciation pour retenir la qualification de partage testamentaire, même si ce dernier ne concerne que certains des héri- tiers et ne porte que sur une partie des biens successoraux Note 109 . On évite ainsi un différend sur la qualification du testament et ses effets. Et une inégalité entre les héritiers n’est créée que si clairement voulue. Le testateur doit également être informé des conséquences fiscales d’un acte autoritaire qui, outre les droits de mutation par décès, est soumis au droit de partage Note 110 . Note 99 M. Grimaldi, Droit des successions : LexisNexis, 7e éd., 2017, spéc. n° 894. Note 100 M. Grimaldi, préc. note 99, spéc. n° 843. Note 101 C’est la possibilité de demander la réduction qui protège le réservataire. Note 102 M. Grimaldi, préc. note 99, spéc. n° 849. Note 103 M. Grimaldi, préc. note 99, spéc. n° 846. Note 104 M. Grimaldi, préc. note 99, spéc. n° 894. Note 105 Le texte ne précise pas si cette indexation est d’ordre public, contrairement à ce qui est prévu en matière de donation-partage (C. civ., art. 1075-4). Dès lors, l’indexation devrait pouvoir être exclue conformément aux derniers mots de l’article 828 du Code civil. L’exclusion doit être privilégiée car cette indexation liée à l’évolution des circonstances économiques sera source de litige entre frères et sœurs. Le repreneur aura tendance à penser que l’augmentation de valeur de l’entreprise sera due, non pas à la situation économique, mais à ses talents de gestionnaire ; au contraire, si l’entreprise se porte moins bien, il aura tendance à imputer cela à la situation économique, alors que ses créanciers mettront en cause ses aptitudes. Les intérêts produits par les sommes dues en application du deuxième alinéa du texte et la déchéance du terme prévue au troisième alinéa, en cas de vente, apportent quelques consolations aux créanciers de l’indemnité contraints d’attendre. Note 106 Cass. 1re civ., 5 déc. 2018, n° 17-17.493 : JurisData n° 2018-022043 ; Defrénois 2019, n° 148q1, obs. A. Chamoulaud-Trapiers ; Defrénois 2019, n° 147h6, obs. G. Champenois ; J. Dubarry, Et si le testament- partage était un testament (presque) comme les autres ? : JCP N 2019, n° 11, 1132. Note 107 Cass. 1re civ., 5 déc. 2018, n° 17-17.493, préc. note 106. Note 108 JCl. Notarial Répertoire, V° Libéralités-partages, fasc. 20, spéc. n° 71, par M. Grimaldi, « pour qu’il y ait testament-partage, il n’est pas nécessaire que l’ascendant déclare expressément procéder au partage testamentaire de ses biens. Mais s’il le fait, il prévient d’éventuelles difficultés de qualification ». Note 109 Cass. 1re civ., 6 mars 2019, n° 18-11.640 : JurisData n° 2019-003217 ; JCP N 2019, n° 12, act. 316 ; Dr. famille 2019, comm. 110, note A. Tani ; Dr. famille 2019, comm. 132, note M. Nicod ; Defrénois 2019, n° 147c9. Note 110 BOI-ENR-PTG-10-30, § 10.

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