la revue fiscale du patrimoine
ENTREPRISE FAMILIALE 54 a) Les époux soumis au régime de la participation aux acquêts 9. - Quid de la clause d’exclusion des biens professionnels ? En applica- tion du deuxième alinéa de l’article 265 du Code civil, la clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation est révoquée de plein droit par le divorce. Cette exclusion voulue pour protéger l’entrepre- neur et l’entreprise, en cas de crise de couple Note 16 , est paradoxalement privée d’effet Note 17 . De deux choses l’une : soit l’entreprise est cédée en totalité avec le consentement du conjoint et le bien professionnel ne figure plus dans le patrimoine final, aucune exclusion ne sera alors pratiquée lors de la liquida- tion, ni aucune réunion fictive Note 18 ; soit le disposant conserve des droits dans l'entreprise et se posera la question du sort de la clause d'exclusion. 10. - Inefficacité de la modification de la composition des patrimoines . – Un premier réflexe pourrait être de modifier la convention matrimoniale en précisant, non pas que le bien professionnel est exclu du calcul de la créance de participation, mais que celui-ci doit figurer dans le patrimoine originaire ou ne pas figurer dans le patrimoine final, ce qui aboutit in fine à l’exclusion des biens professionnels. Par cette dernière précision, on perçoit l’artifice qu’il y aurait à « jouer » sur la composition des patrimoines. Il ne faut pas douter qu’une telle clause sera également privée d’effet en cas de divorce, non seulement pour fraude Note 19 , mais aussi plus prosaïquement parce que l’avantage matrimonial ne prendrait pas davantage effet pendant le mariage. En effet, la composition des patrimoines est une règle liquidative appliquée au moment de la dissolu- tion du régime Note 20 , lequel fonctionne au cours de son application comme une séparation de biens : que les biens professionnels soient exclus, d’une façon ou d'une autre, ou ne le soient pas, les pouvoirs de l'époux propriétaire sur les biens lui appartenant sont identiques (C. civ. , art. 1569, première et deuxième phrases) . Bref, l’avantage ne prendrait pas effet au cours du mariage Note 21 . Or, seul celui qui prend effet pendant le mariage est maintenu en cas de divorce (C. civ. , art. 265, al. 1er) . Même si certains la regrettent, ils admettent que cette solution Note 22 n’est que l’application du droit du divorce à la clause d’exclusion qualifiée d’avantage matrimonial. La différence avec un régime communautaire est criante. Une communauté conventionnelle contenant une clause d’exclusion des biens professionnels de la masse commune prend, assurément, effet pen- dant le mariage : tant la gestion que le droit de disposer sont l’apanage du seul époux propriétaire (C. civ. , art. 1428). 11. - Inefficacité de la clause écartant la révocation de plein droit en cas de divorce . – La Cour de cassation, au visa de l’article 265 du Code civil, pré- cise que la révocation n’a pas lieu lorsque celui qui subit l’avantage exprime une volonté en ce sens « au moment du divorce » Note 23 ; expression de volonté bien peu probable en pareilles circonstances. Certains auteurs Note 24 , s’agrippant à la lettre du texte selon laquelle la volonté contraire est « constatée », estiment que la convention de mariage peut prévoir expressément le maintien de l’exclu- sion en cas de divorce. Cette analyse, reposant uniquement sur le sens donné à un mot ambigu, nous paraît audacieuse Note 25 . Même si le texte n’interdit pas lit- téralement une expression de volonté préalable, il ne l’autorise pas. Le constat imposé par le texte est, selon nous, lié au caractère irrévocable de l’avantage maintenu. Le législateur a voulu que cette volonté définitive soit inscrite dans la convention de divorce ou dans le jugement. Par ailleurs, comme François Letellier Note 26 , nous pensons que la volonté de maintenir l’exclusion des biens professionnels pour le cas de divorce est clairement exprimée dans le contrat de mariage lorsqu’il est stipulé, comme dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 18 décembre 2019 Note 27 , que l’avantage matrimonial ne joue qu’à l’occasion d’une dissolution du régime pour une autre cause que le décès. Bien que la volonté exprimée en amont fût certaine Note 28 , la clause d’exclusion a été écartée de droit par le divorce. Compte de tenu de la précision donnée par les juges du droit, seule une volonté contraire « exprimée au moment du divorce » semble pouvoir faire échec au principe de la révocation de droit prévue au deuxième alinéa de l’article 265 du Code civil. En l’état du droit positif, aucune garantie d’efficacité ne peut être donnée aux époux qui dérogeraient expressément à ce principe dans leur convention matrimoniale Note 29 . Au contraire, nous voyons, dans la précision figurant à la fin du chapeau de l’arrêt, un obiter dictum à l’adresse des magistrats de la cour de renvoi : la découverte par les juges du fond de la volonté certaine des époux, lors de l’établissement de la convention de mariage, de maintenir l’avantage matrimonial en cas de divorce serait sans incidence sur l’effet révocatoire prévu par le texte. À moins que cette incise ne soit adressée aux rédacteurs qui penseraient pouvoir contourner la déci- sion ferme de la Cour de cassation par une volonté contraire exprimée dans la convention de mariage Note 30 . 12. - Clause d’exclusion des biens professionnels et passage en commu- nauté . – En cas de dissolution du régime de participation aux acquêts pour une autre cause que le divorce, l’avantage matrimonial constitué par la clause d’exclusion des biens professionnels est maintenu et le calcul de la créance de participation doit en tenir compte. Pour l’avenir, pour les raisons évoquées Note 16 En cas de dissolution du régime par décès, la clause d’exclusion est souvent neutralisée par une autre stipulation du contrat de mariage. Note 17 Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, n° 18-26.337 : JurisData n° 2019-023658 ; JCP N 2020, n° 9, 1059, note A. Karm ; Defrénois 2020, n° 157m3, note Fr. Letellier ; Defrénois 2020, n° 160b8, obs. I. Dauriac. Note 18 V. Fr.-B. Godin, préc. note 12, n° 22. Note 19 L’utilisation de la lettre de l’article 1387 du Code civil (liberté du contenu des conventions matrimoniales) contre l’esprit de l’article 265, alinéa 2 du même code. Note 20 Fr. Terré et Ph. Simler, préc. note 5, spéc. n° 819. – C. civ., art. 1569, al. 1er, dernière phrase. Note 21 En ce sens B. Vareille, La clause d’exclusion des biens professionnels en cas de divorce, talon d’Achille de la participation aux acquêts : RTD. civ. 2020, p. 178. – Contra D. Guillou et B. Roman, Participation aux acquêts : et maintenant ? : Actes prat. strat. patrimoniale 2020, n° 1, le point sur dossier 1. Note 22 V. not. Fr. Letellier, préc. note 17, spéc. n° 7 et 8. Note 23 Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, n° 18-26.337, préc. note 17. Note 24 V. not. A. Karm note préc. – B. Beignier, Avantages matrimoniaux et participation aux acquêts : nouveaux enseignements, nouvelles pratiques : JCP N 2020, n° 24, 1129, spéc. n° 17 et s. Note 25 En ce sens RTD civ. 2020, p. 178, B. Vareille. Note 26 Fr. Letellier, préc. note 17, spéc. n°9. Note 27 Cass. 1re civ., 18 déc. 2019, préc. note 17 Note 28 En droit (C. civ., art. 1188), c’est le caractère certain de la volonté exprimée qui prévaut et non son caractère exprès, sauf exigence formelle prévue par un texte. Note 29 En ce sens, Rép. min. n° 14362 : JO Sénat, 28 mai 2020, p. 2446, Malhuret ; JCP N 2020, n° 24, act. 513. Note 30 En ce sens, Defrénois 2020, n° 160b8, obs. I. Dauriac.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTQxNjY=