la revue fiscale du patrimoine

51 17. - Les charges retenues par le Conseil d’État. – Le Conseil d’État tient également compte des annuités prévisionnelles de remboursement d’emprunt (en ce compris, selon nous les intérêts et le capital) mais également d’éven- tuelles mises en réserves pour le financement d’investissements futurs, pour- vu que celles-ci puissent être justifiées par la société (le Conseil d’État exclut ainsi les mises en réserves ayant pour seule vocation de limiter la valeur de l’usufruit). 18. - Qu’en est-il de la prise en compte de l’impôt ? – Cette question n’est pas abordée par le Conseil d’État. Si l’impact de l’impôt payé par l’usufruitier sur la valeur de l’usufruit des parts fait l’objet de discussions par la doctrine, l’administration fiscale a prévu dans son Guide Note 24 que « pour les SCI [de ges- tion qui perçoivent des revenus] non soumises à l’IS, la déduction d’un impôt fictif permet de prendre en compte l’inégalité des situations ». C’est également l’avis du rapporteur public devant la cour administrative d’appel de Nantes Note 25 , Thurian Jouno, pour qui il convient de retenir « l’impôt théorique payable par l’usufruitier à raison de ses droits dans la société » avec l’utilisation du taux moyen d’imposition prévisible de l’usufruitier plutôt que son taux marginal d’imposition en cas de soumission au barème progressif. 19. - L’impact du montant de la trésorerie disponible de la SCI doit également être étudié. Sur ce point, deux théories s’affrontent. La première consiste à limi- ter le montant du dividende distribuable par celui de la trésorerie effectivement disponible de la société, tandis que la seconde dissocie ces deux éléments en tenant compte de distributions prévisionnelles dont le montant excéderait la trésorerie disponible de la société. Bien que les rapporteurs publics Note 26 se soient tous deux prononcés en faveur de la première théorie, ce sujet n’est pas non plus évoqué par le Conseil d’État dans la décision. Il ne s’agit pas des seules questions laissées en suspens dans la décision du Conseil d’État, le taux d’actualisation à retenir n’ayant pas non plus été défini. B. - Un taux d’actualisation incertain 20. - Le Conseil d’État n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur cette question, les moyens soulevés n’abordant pas la nature du taux d’actualisation à retenir. La lecture de la décision de la cour administrative d’appel de Nantes nous ap- prend que l’administration fiscale « a retenu un taux de 5 % Note 27 sur la période de vingt ans de cession, correspondant au bas de la fourchette communément admise [. . . ], soit entre 5 % et 7 %, compte tenu d’un faible risque d’impayés au regard des résultats antérieurs de la SARL requérante et de la communauté d’intérêts existant entre le cédant et le cessionnaire ». Alors que le contribuable sollicitait la prise en compte d’un taux de 9,45 % (correspondant au taux de rendement de l’immeuble Note 28 , la cour administrative d’appel a considéré que le taux retenu par l’Administration était suffisamment justifié compte tenu de « la communauté d’intérêts » existant entre la SCI et la SARL (i), du fait que la SARL exploite son activité depuis 1985 dans les mêmes locaux (ii) et de l’absence d’élément justificatif d’éventuelles difficultés rencontrées dans le do- maine de la restauration, en particulier dans le secteur géographique dans le- quel la SARL exerce son activité (iii). Le taux de 5 % retenu par l’administration fiscale et validé par la cour administrative d’appel n’apparaît pas suffisamment justifié en l’absence de détail sur les composantes de ce taux (en particulier la prime de risque). La cour administrative d’appel justifie le placement dans le bas de la fourchette mais la détermination de la fourchette en elle-même semble encore manquer de transparence. Le taux proposé par le contribuable, centré sur le seul rendement locatif de l’immeuble détenu par la SCI, n’apparaît pas plus préférable en l’absence de justifications. 21. - Bien que le Conseil d’État ne se soit pas prononcé dans cette affaire sur le taux à retenir, un parallèle peut être fait avec une décision récente Note 29 qui concernait également la valorisation d’un démembrement de propriété. En l’espèce, deux SCI avaient acquis respectivement l’usufruit temporaire sur une période de 22 ans et la nue-propriété d’un immeuble donné en location. Dans cette décision le Conseil d’État a en effet ouvert la porte à l’application de la méthode DCF avec le taux de rendement interne Note 30 de l’investisse- ment comme taux d’actualisation, en considérant qu’« en l’absence de toute transaction ou de transaction équivalente, l’appréciation de la valeur vénale doit être faite en utilisant les méthodes d’évaluation qui permettent d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où l’acquisition est intervenue. Dans le cas de l’acquisition d’un bien en démembrement de propriété, constitue une telle méthode d’évaluation celle qui définit des prix de la nue-propriété et de l’usufruit tels qu’ils offrent le même taux de rendement interne de l’investisse- ment pour l’usufruitier et le nu-propriétaire ». Si le taux de rendement interne, déjà adopté par une partie de la doctrine, permet de prendre en compte un nombre important de paramètres liés à l’investissement, sa mise en œuvre se heurte toutefois à la complexité de son calcul. Une autre théorie, développée par M. Thurian Jouno Note 31 et s’appuyant sur le fait que les flux à actualiser sont des dividendes, prévoit l’actualisation au coût des capitaux propres (lequel diffère du coût moyen pondéré du capital en ce qu’il ne prend pas en compte le coût de la dette financière). 3. Conclusion 22. - La décision du Conseil d’État n’a pas permis de répondre à ce stade à toutes les interrogations que pose la pratique de l’évaluation de l’usufruit de titres d’une société civile immobilière. La décision qui sera rendue sur renvoi par la cour administrative d’appel de Nantes fera l’objet de toutes les attentions, et devrait livrer des pistes de réflexion sur les questions restées en suspens. Il n’en demeure pas moins que la valorisation de l’usufruit de titres de SCI est désormais mieux balisée, offrant ainsi à la fois aux contribuables et à leurs conseils de nouveaux arguments à utiliser en cas de contrôle fiscal ainsi qu’une plus grande sécurité juridique entourant les structurations futures. Note 24 P. 103, cette précision concerne toutefois la valeur de productivité. Note 25 Concl. T. Jouno ss CAA Nantes, 15 févr. 2018, n° 16NT01325. Note 26 Concl. E. Bokdam ss CE, 9e et 10e ch., 30 sept. 2019, n° 419855, préc. note 1. – Concl. T. Jouno ss CAA Nantes, 15 févr. 2018, préc. note 25 Note 27 Ce taux de 5 % avait été obtenu par agrégation d’un taux couvrant l’inflation (i) et le coût du temps par référence au taux du marché des emprunts et d’une prime de risque (ii). Note 28 À comprendre selon nous comme le rapport entre les loyers perçus annuellement et le prix d’acquisition de l’immeuble. Note 29 CE, 8e et 3e ch., 24 oct. 2018, n° 412322 : Dr. fisc. 2019, n° 6, comm. 141, concl. R. Victor. – V. égal. L. Benoudiz, L’évaluation d’un usufruit temporaire : quelle méthode ? quel taux ? : Dr. fisc. 2019, n° 6, étude 140. Note 30 Indicateur permettant de mesurer la rentabilité d’un investissement en tenant compte des flux de trésorerie futurs générés par l’investissement. Note 31 Concl. T. Jouno ss CAA Nantes, 15 févr. 2018, préc. note 25 © LexisNexis SA

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