la revue fiscale du patrimoine

49 B. - Un rappel de principes jurisprudentiels bien établis 1° La quête du prix de marché 5. - La décision étudiée a été l’occasion pour le Conseil d’État de rappeler le principe selon lequel « [. . . ] la valeur vénale des titres d’une société non admise à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue ». Cette référence au prix de marché (sous-entendu le « marché libre »), à savoir le prix auquel seraient parvenues deux parties, n’ayant pas de lien entre elles susceptible de fausser leurs négo- ciations, est ancienne et communément admise tant par le Conseil d’État Note 5 que la Cour de cassation Note 6 . 6. - Cette référence au prix de marché s’entend aisément dans le cadre de transactions portant sur des titres de sociétés admises aux négociations sur un marché réglementé en raison de l’existence des cours de Bourses (prix aux- quels s’échangent les titres cotés), informations publiques et disponibles en direct. Par exemple, en ce qui concerne les mutations à titre gratuit, « [. . . ] le capital servant de base à la liquidation et au paiement des droits de mutation à titre gratuit est déterminé par le cours moyen au jour de la transmission ou, pour les successions, par la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la transmission » (CGI, art. 759). De même, en matière d’impôt sur la fortune immobilière « les valeurs mobilières cotées sur un marché sont évaluées se- lon le dernier cours connu ou selon la moyenne des trente derniers cours qui précèdent la date d'imposition » (CGI, art. 973 I, § 3). Le Conseil d’État rappelle régulièrement par ailleurs que « la valeur vénale réelle des actions d’une so- ciété cotée en Bourse doit normalement être appréciée en fonction du cours de Bourse à la date de la cession » Note 7 . 7. - A contrario, la valorisation de titres non cotés présente nécessairement plus de subjectivité et la doctrine administrative Note 8 prévoit par exemple que les éléments à retenir pour apprécier la valeur vénale de tels titres recouvrent notamment le rendement des titres, l’importance des bénéfices, l’activité de la société émettrice, l’ampleur et le crédit de l’entreprise. 2° Une hiérarchisation des méthodes d’évaluation à mettre en œuvre 8. - Application en priorité de la méthode par comparaison. – Le Conseil d’État a de nouveau Note 9 rappelé dans la décision étudiée que, « l’évaluation des titres [. . . ] doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d’autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur des titres de la même société ou, à défaut de sociétés similaires ». Chaque fois que cela est possible, il convient donc de faire application de la méthode par comparaison, en privilégiant les transactions intervenues sur les titres de la même société, sous la réserve évidente que ces transactions antérieures re- flètent bien un prix de marché et que la valorisation qui en résulte n’ait pas été faussée par les relations entre le(s) cédant(s) et le(s) cessionnaire(s). Le Guide de l’administration fiscale Note 10 indique les précautions à prendre (vérification de l’absence de changement dans l’activité de la société, nombre de titres compo- sant le capital Note 11 et pourcentage de titres transférés Note 12 ). À défaut de cession antérieure des mêmes titres, le recours à des transactions portant sur des titres de sociétés similaires est, quant à lui, strictement encadré par la jurisprudence, qui exige une comparabilité importante des activités et caractéristiques des sociétés Note 13 . Dans les deux cas il est impératif que la cession antérieure soit suffisamment contemporaine, le Guide précisant également que les mutations antérieures de plus de 24 mois ne devraient en principe pas être retenues Note 14 . 9. - À défaut de comparables fiables, application d'une combinaison de méthodes. – En l’absence de transactions intervenues sur les titres de la même société ou sur des titres de sociétés similaires, l’évaluation « peut lé- galement se fonder sur la combinaison de plusieurs méthodes alternatives ». La terminologie retenue exclut de facto une combinaison entre la méthode par comparaison et les autres méthodes Note 15 . S’agissant de ces autres méthodes, l’administration fiscale indique quant à elle dans son Guide, qu’elles recouvrent notamment la méthode patrimoniale et les méthodes fondées sur les valeurs de rentabilité (au nombre desquelles se trouve la méthode des cash flows actuali- sés). C’est l’application de cette dernière méthode, autrement appelée méthode des flux futurs de trésorerie actualisés (ou « méthode DCF » pour discounted cash flows ), qui est au cœur de la décision étudiée. Classiquement, cette mé- thode part du postulat selon lequel la valeur de l’entreprise correspond à la somme de ses cash flows disponibles prévisionnels actualisés au coût moyen pondéré du capital engagé et de la valeur terminale actualisée. 10. - La mise en œuvre des méthodes d’évaluation dans la décision. – À la suite d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a remis en cause la valorisation initiale de l’usufruit des titres Note 16 et a procédé, à son tour, à une évaluation en mettant en œuvre la méthode DCF. Il apparaît à la lecture de la décision de cour administrative d’appel de Nantes Note 17 qu’il n’existait aucune transaction équivalente permettant le recours à une méthode par comparaison. Note 4 Not., CE, plén., 9 mai 2018, n° 387071 : JurisData n° 2018-007717 ; Dr. fisc. 2018 n° 26, comm. 317, note Fr. Donnedien et Y. Chemama. – CE, 3e et 8e ss.-sect., 5 janv. 2005, n° 254556 : JurisData n° 2005-080624. Note 5 Depuis la décision CE, 22 mars 1961, n° 41687. – Et dernièrement CE, plén., 9 mai 2018, n° 387071, préc. note 4. Note 6 Cass. com., 19 déc. 1989, n° 88-13.519. – Cass. com., 14 nov. 2018, n° 17-15.166. Note 7 Not. CE, 8e et 9e ss-sect., 6 juin 1984, n° 35415 et 36733 : JurisData n° 1984-600846. Note 8 BOI-BIC-PVMV-30-20-20, 12 sept. 2012, § 170. Note 9 CE, 10e-9e ch., 21 oct. 2016, n° 390421 : JurisData n° 2016-026238 ; RFP 2017, comm. 2, note A. Gravet. Note 10 Guide de l’administration fiscale, p. 21. Note 11 Une augmentation ou une réduction du capital peut en effet entraîner une variation du nombre de titres. Note 12 Le prix de cession d’une participation majoritaire ne peut être comparé au prix de cession d’une participation minoritaire et le prix de quelques titres cédés pour des raisons d’opportunité dans l’intérêt de la société ne peut être comparé au prix d’une cession d’une participation plus significative, même minoritaire. Note 13 Not. CE, 8e et 9e ss-sect., 29 déc. 1999, n° 171859 : JurisData n° 1999-159748. Note 14 Guide de l’administration fiscale, p. 22. Note 15 CE, 10e –9e ch., 21 oct. 2016, préc. note 9. Note 16 La lecture des conclusions du rapporteur public nous apprend que la valorisation initiale avait été réalisée en partant de la valeur de la pleine propriété telle qu’elle ressortait de la mise en œuvre d’une approche patrimoniale, puis en appliquant à cette valeur le barème de l’article 669 du CGI afin d’en déduire la valeur de l’usufruit. Note 17 CAA Nantes, 15 févr. 2018, n° 16NT01325.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTQxNjY=