la revue fiscale du patrimoine
SCI/PATRIMOINE IMMOBILIER 48 Le Conseil d’État a récemment apporté des précisions bien- venues concernant la valorisation d’un usufruit temporaire de titres d’une société civile immobilière non cotée. Ces précisions sont l’occasion de faire un point complet sur cette question. Introduction 1. - L’importance de l’évaluation de titres de sociétés à des fins fiscales. La valorisation de titres de sociétés est un sujet récurrent dans le quotidien de nombreux contribuables et professionnels du droit comme du chiffre. Cet exer- cice, indispensable dans une multiplicité de situations fiscales (cessions de droits sociaux, opérations de restructuration, donations, successions, etc.), est lié à divers impôts (impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu, impôt sur la fortune immobilière, droits d’enregistrements, etc.). Cette étude a vocation à proposer aux lecteurs des clés permettant de se familiariser avec la valorisation d’usufruit de titres de sociétés civiles immobilières à travers les précisions don- nées par le Conseil d’État dans sa décision en date du 30 septembre 2019 Note 1 . 1. Un cadrage jurisprudentiel nécessaire A. - Un exercice complexe et dangereux 2. - La laborieuse valorisation des titres de sociétés non cotées. — La valorisation de titres de sociétés non cotées est un exercice épineux, en té- moignent notamment la création par l’administration fiscale française d’un guide pour « l’évaluation des entreprises et des titres de sociétés » (ci-après le « Guide de l’administration fiscale » ou « le Guide ») objectivement volumineux et l’existence d’un rescrit spécifique en la matière Note 2 . Chaque situation révèle, en effet, des questionnements quant à la finalité de l’exercice, à la méthode à utiliser et aux modalités de sa mise en œuvre. Les outils sont par ailleurs insuffisants (les praticiens s’entendent sur le fait que le Guide de l’administra- tion fiscale est à la fois trop ancien et trop peu éclairant) et il va de soi que la jurisprudence n’a pas encore permis de lever le voile sur l’exhaustivité des cas de figure susceptibles de se présenter. Le défi est d’autant plus ardu lorsqu’un démembrement de propriété se joint à la problématique. S’il existe bien une législation en matière de liquidation des droits d’enregistrement et de la taxe de publicité foncière (prévoyant que la valeur de l’usufruit correspond à une quote- part de la valeur de la pleine propriété Note 3 ), aucune indication de ce type n’est en revanche fournie s’agissant des autres impôts. 3. - Des enjeux fiscaux considérables. — Les éventuelles conséquences des difficultés évoquées ci-dessus, à savoir une sur ou sous-valorisation des titres ou de leurs démembrements, sont susceptibles d’entraîner des risques fiscaux conséquents. Ces enjeux se matérialisent à plusieurs niveaux : taxation des plus-values, modification de la base amortissable, droits d’enregistrement, reconnaissance d’une libéralité, acte anormal de gestion, redressements en matière de prix de transfert, distribution occulte, etc. Une erreur d’évaluation peut également, le cas échéant, donner lieu à la reconnaissance d’un abus de droit, ou d’un mini-abus de droit, ou encore justifier l’application de pénalités pour manœuvres frauduleuses. Les exemples jurisprudentiels en la matière ne manquent pasNote 4 et les contentieux en matière de valorisation des titres de sociétés non cotées marquent régulièrement l’actualité. 4. - Le contexte de la décision Hôtel Restaurant Luccotel. — En l’espèce, une société à responsabilité limitée (« SARL ») ayant pour activité l’exploitation d’un hôtel-restaurant prenait à bail des locaux appartenant à une société civile immobilière (« SCI ») non soumise à l’impôt sur les sociétés dont les associés étaient les mêmes que les associés ultimes de la SARL. L’usufruit des parts de la SCI a été cédé à la SARL pour une durée de 20 ans et sa valorisation a été remise en cause par l’administration fiscale à l’occasion d’un contrôle. Dans sa résolution de l’affaire, le Conseil d’État fait application d’une ligne jurispruden- tielle déjà bien ancrée dans la pratique. La méthode d’actualisation de flux futurs appliquée à l’évaluation de l’usufruit de titres d’une société civile immobilière NDLR : Étude publiée in La Revue Fiscale du Patrimoine n° 6, Juin 2020, étude 14 Note 1 Le Conseil d’État a rendu le même jour deux décisions portant sur des problématiques similaires : CE, 9e et 10e ch., 30 sept. 2019, n° 419855, Hôtel Restaurant Luccotel : JurisData n° 2019-016700 ; JCP N 2020, n° 17, 1097, note S. Fagot ; RFP 2019, comm. 13. – CE, 9e et 10e ch., 30 sept. 2019, n° 419860, VP Santé : Dr. fisc. 2019, n° 48, comm. 465, note P. Fernoux Pour des raisons pratiques, seule la première décision servira de fil conducteur à la présente étude. Note 2 Rescrit fiscal en matière de donation d’entreprise prévu par l’article L. 18 du LPF. Note 3 L’article 669 du CGI prévoit que la valeur de la nue-propriété et de l’usufruit est déterminée par une quotité de la valeur de la propriété entière conformément à un barème construit autour de l’âge de l’usufruitier, tandis que l’usufruit constitué pour une durée fixe est estimé à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de 10 ans de la durée de l’usufruit, sans fraction et sans égard à l’âge de l’usufruitier. Étude par Anne FREDE avocat associé, Grant Thornton Société d’Avocats et Caroline LEBON avocat, Grant Thornton Société d’Avocats © Droits réservés © Droits réservés
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