la revue fiscale du patrimoine
43 d’inconvénients. Tout d’abord, en cas de mésentente entre les associés, il sera difficile d’en sortir. Il faudra alors se tourner vers les tribunaux qui ac- cueillent restrictivement les demandes en dissolution de la société présentée par un associé 18 . De même, des époux qui auront constitué une SCI pour l’achat du domicile conjugal ne pourront bénéficier de l’article 763 du Code civil accordant au conjoint survivant la jouissance gratuite du logement pen- dant un an à compter du décès, car il ne s’applique qu’à la détention directe du logement. Il en va également ainsi pour le droit viager au logement, prévu à l’article 764 du même code. Ces deux textes visent très clairement le loge- ment « appartenant aux époux » et ne peuvent donc s’étendre à la détention indirecte via une SCI. De même, l’abattement de 30 % effectué sur la valeur vénale réelle de l’immeuble lorsque celui-ci est occupé à titre de résidence principale par son propriétaire, prévu à l’article 973 du Code général des im- pôts, ne s’appliquera pas en cas de détention du domicile conjugal à travers une SCI 19 . Enfin, le choix de la SCI pour l’achat de la résidence principale fera perdre aux héritiers l’abattement de 20 % prévu à l’article 764 bis du Code général des impôts 20 . B. – Les modalités de conservation de l’immeuble 10. – La propriété indivise de l’immeuble par un couple, marié ou non, conduit naturellement à s’interroger sur le sort de ce patrimoine en cas de décès. Cette question devra être abordée en amont de l’acquisition elle-même. Il s’agira alors, soit de conserver la seule jouissance de l’immeuble (1°) parce que l’occupation du bien est considérée comme prioritaire, soit de s’assurer la pleine propriété de l’entier immeuble (2°), parce que l’on souhaite pouvoir en disposer librement. 1° La conservation en jouissance de l’immeuble 11. – Un couple, qui fait l’acquisition de sa résidence principale, aura pour première préoccupation de garantir, en cas de décès, la jouissance du lo- gement au conjoint, au partenaire ou au concubin. À l’évidence, et dans cet objectif de protection, la forme de conjugalité choisie ne sera pas indifférente. Si, pour des personnes mariées, une solution sera vite trouvée dans les dif- férentes alternatives et modulations qu’autorisent les donations au dernier vivant, il n’en ira pas de même pour celles qui n’ont pas choisi le statut du mariage. Certes, une libéralité à cause de mort est également envisageable, par le biais d’un testament, mais elle ne pourra assurer la pleine jouissance du logement en présence d’enfants, qu’ils soient issus du couple ou d’une première union du défunt. En effet, l’usufruit légué ne pourra porter sur la réserve de ces enfants, la quotité disponible applicable étant ici la quotité disponible ordinaire et non la quotité disponible spéciale entre époux, laquelle permet d’appréhender, en usufruit, la réserve des descendants. Dès lors, la tentation sera forte de se tourner vers d’autres techniques juridiques. Ainsi a été imaginé un montage intitulé « double indivision croisée » 21 . Il consiste à 18 S. Porcheron et C. Frances-Dehors, Société civile immobilière, Mode d’emploi, Delmas, coll. « Delmas Express », 2017, n° 201. – Cass. 3e civ. , 4 mai 2016, n° 15-15. 766, non publié au bulletin. 19 BOI-PAT-IFI-20-30-20, n° 50. 20 Cet abattement s’applique sur la valeur de la résidence principale du défunt occupée par le conjoint survivant. 21 « L’union libre et le droit », Congrès régional des notaires de la cour d’appel de Reims, 24 sept. 1984. 22 La moitié en nue-propriété étant dévolue aux héritiers du défunt. 23 C. civ. , art. 815-5, al. 2 : « Le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier ». 24 J. -G. Raffray et J. -P. Sénéchal, note ss Cass. 1re civ. , 27 mai 1986 : JCP N 1987, II, p. 166. 25 V. 112 e Congrès des notaires de France, 4 e commission, p. 1108, n° 4199. 26 Il semble en effet difficile de remettre directement des parts en usufruit et en nue-propriété en échange d’apports en toute propriété, comme le souligne V. Michelizza-Fakhoury et F. Luzu, Union libre et gestion de patrimoine, Maxima, 1998, p. 102. 27 V. 112e Congrès des notaires de France, 4e commission, p. 1111, n° 4217. faire acquérir la moitié du bien en nue-propriété et l’autre moitié en usufruit par chacun des concubins. Au décès du premier, le survivant serait ain- si propriétaire de la moitié en pleine propriété, l’usufruit du défunt s’étant éteint naturellement, et de la moitié en usufruit 22 . Le survivant a donc bien la jouissance exclusive de l’immeuble qui ne pourra pas être vendu sans son accord 23 . Par ailleurs, et contrairement à un legs en usufruit, le survivant n’a pas à craindre une réduction pour atteinte à la réserve. Séduisant dans son principe, le montage est pourtant contestable car la nature même du droit indivis ne l’autorise pas. En effet, il n’est pas possible de dissocier la quote- part de chacun des indivisaires et par conséquent, propriétaires de la moitié en usufruit et de la moitié en nue-propriété, chacun est propriétaire de la moitié en pleine propriété et, en fait d’indivision croisée, on se retrouve face à une indivision ordinaire 24 . Cette technique suppose donc, pour être efficace, l’existence de biens divis, c’est pourquoi ce montage est admis dans le cadre sociétaire 25 . 12. – L’opération va ainsi se dérouler en deux temps. Tout d’abord, il est constitué une société dont les parts sont attribuées pour moitié à cha- cun des associés. Ensuite, il est procédé à un échange aux termes duquel chacun détiendra la moitié des parts en nue-propriété et l’autre moitié en usufruit 26 . Prenons l’exemple d’un couple de concubins qui constitue une SCI de 200 parts sociales, monsieur détiendra les parts numérotées de 1 à 100 en nue-propriété et les parts numérotées de 101 à 200 en usufruit, quand madame aura les parts 1 à 100 en usufruit et les parts 101 à 200 en nue-propriété. Au premier décès, le survivant aura donc la moitié des parts en pleine propriété et l’autre moitié en usufruit. Ce recours à la société permettra ainsi d’éviter la critique liée à l’impossibilité de localiser les quotes-parts de chaque indivisaire. Il faudra toutefois faire attention de ne pas s’exposer à une suspicion de fictivité de cette société, en organisant sa gestion au moyen d’une comptabilité tenue et d’un registre des délibérations effectif. Il convien- dra également d’être attentif à la rédaction des statuts, et en particulier d’at- tribuer à l’usufruitier des droits de vote étendus. L’article 1844, alinéa 3 du Code civil, qui réserve à l’usufruitier le droit de vote uniquement pour l’af- fectation des bénéfices, n’est pas impératif et il peut donc y être dérogé afin d’assurer la jouissance du logement, propriété de la société, à l’usufruitier. Il faudra, enfin, être attentif au fait que la présomption édictée par l’article 751 du Code général des impôts s’appliquera si les titulaires de parts démem- brées s’instituent légataires ou sont héritiers l’un de l’autre. On remarquera toutefois que si les deux associés viennent à se marier ou à conclure un pacte civil de solidarité, l’application de l’article 751 du Code général des impôts n’aura aucun impact 27 . 2° La conservation en propriété de l’immeuble 13. – L’acquisition ayant été réalisée en indivision, certains indivisaires ne se satisferont pas d’une simple jouissance du bien au premier décès, mais pré- féreront devenir pleinement propriétaires. En effet, dans ce cas, ils pourront
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