la revue fiscale du patrimoine

15 Cependant, toutes les clauses bénéficiaires ne sont pas rédigées ainsi. Cer- taines se contentent par exemple de la formule classique « à défaut mes héritiers » Note 6 . 6. - Dans une affaire récente ayant donné lieu à un arrêt de la cour d’appel de Douai Note 7 , la clause démembrée était rédigée ainsi pour la partie qui nous intéresse : « Mme Huguette D. née le 2 mars 1931 comme usufruitière, Mme Dominique D. née le 22 février 1951, M. Olivier D. né le 16 novembre 1957, M. Marc D. né le 16 avril 1968 en nue-propriété pour 1/3 chacun, à défaut mes héritiers ». Or, une telle stipulation peut poser d’importantes difficultés. La principale étant celle de savoir si cette désignation subséquente s’applique uniquement en l’absence de tous les usufruitiers et nus-propriétaires désignés, ou dès lors que la garantie au décès de l’assuré ne peut pas être délivrée en démem- brement, par exemple en cas de prédécès de l’usufruitier ? La question est pratiquement importante car il est parfaitement possible de désigner en qualité de nus-propriétaires des personnes ne revêtant pas tous la qualité d’héritiers, voire, comme dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt précité de la cour d’appel de Douai, la clause peut ne viser, en cette qualité, que des tiers par rapport à l’assuré. 7. - Ainsi, l’hypothèse d’une clause démembrée désignant comme nus-pro- priétaires les enfants et les petits-enfants de l’assuré par parts égales est loin d’être extravagante. Une telle stipulation permet en effet d’organiser la transmission sur trois générations et d’augmenter le nombre d’abattements applicables sur la garantie Note 8 . Dans ce cas, si l’usufruitier prédécède, en présence d’une stipulation se contentant de préciser pour l’identification des bénéficiaires subséquents, « à défaut, les héritiers », la garantie doit-elle être acquise par les enfants par parts égales, qui en leur qualité d’héritiers, évincent les représentants du 1er ordre, second degré, ou les nus-propriétaires doivent-ils recevoir la garantie, en raison de la reconstitution de la pleine propriété entre leurs mains, résul- tant du prédécès de l’usufruitier ? 8. - Pour cerner le domaine d’application de la clause de désignation sub- séquente, faute de précision particulière, il est nécessaire de déterminer si le couple usufruitier/nu-propriétaire forme une relation indivisible, de sorte que la caducité du droit de l’un fait disparaître celui de l’autre (1) ou si, au contraire, le prédécès de l’usufruitier permet au nu-propriétaire de bénéficier de la garantie en pleine propriété. Cette difficulté s’estompe en cas de rédaction précise de la clause bénéfi- ciaire démembrée (2) . 1. Clause démembrée et indivisibilité de la désignation principale 9. - Pour être bénéficiaire, il faut être vivant au jour du décès de l’assuré (C. assur., art. L.132-8) . En effet, l’attribution de la garantie est faite sous la condition de l’existence du bénéficiaire à l’époque de l’exigibilité du capital ou de la rente garantie, peu important qu’il ait ou non accepté de son vivant Note 9 . Le prédécès de l’usufruitier emporte donc la disparition de son droit. Or, par hypothèse, le ou les nus-propriétaires sont bien vivants au jour du décès de l’assuré. A priori , ils peuvent faire valoir auprès de la compagnie d’assu- rances les droits qu’ils possèdent. Et le droit dont ils peuvent se prévaloir semble bien être la pleine propriété de la garantie, puisque l’usufruit n’est qu’une charge qui pèse sur la propriété d’autrui. Or, cette charge existait, sous forme de droit éventuel, dans le patri- moine de l’usufruitier bien avant son décès. En effet, aux termes de l’article L. 132-12 du Code des assurances, le bénéficiaire est réputé avoir droit à la garantie depuis le jour de la conclusion du contrat Note 10 . Cette charge s’est donc éteinte, par application de l’article 617 du Code civil, avec le décès de l’usufruitier, peu important que celui-ci ait lieu avant ou après celui de l’assuré. 10. - En l’absence de clause visant expressément cet événement, l’attribution de la garantie dans cette hypothèse aux personnes désignées en qualité de nus-propriétaires, selon les modalités prévues par la clause (le plus souvent par parts égales), paraît donc s’imposer. Ce qui exclut l’application des dispo- sitions de l’article L. 132-11 du Code des assurances. Telle fut par exemple la position du Cridon dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt d’appel de Douai précité Note 11 , laquelle fut suivie par la juridiction du second degré Note 12 . 11. - Cependant, une telle analyse occulte selon nous un point essentiel, à savoir la possible indivisibilité des désignations de premier rang exprimées dans la clause bénéficiaire démembrée. Précisément la structure de la clause bénéficiaire n’induit-elle pas l’existence d’une indivisibilité subjective entre les deux désignations ? Car si tel est le cas, cette stipulation de droits forme alors un tout indivisible, de sorte que la caducité de l’une des désignations emporte la caducité de l’autre Note 13 . Or, plusieurs éléments de rédaction sont de nature à révéler l’existence d’une telle indivisibilité. 12. - D’abord, celle-ci peut être exprimée par la clause visant précisément l’hypothèse du prédécès de l’usufruitier. En effet, une telle stipulation démontre par elle-même l’indivisibilité de la désignation principale. Son existence n’a en effet de sens que si la mort pré- maturée de l’usufruitier fait disparaître le droit du nu-propriétaire. Certes, il est possible d’objecter qu’au contraire cette clause exprime la di- Note 6 Il peut arriver également que la clause n’envisage même pas la difficulté. Note 7 CA Douai, 3e ch., 16 janv. 2020, n° 19/02102 : JurisData n° 2020-002387. Note 8 Il y a autant d’abattements, en cas d’application de l’article 990 I du CGI(BOI-TCAS-AUT-60, 16 juin 2018, § 310). Note 9 Cass. 2e civ., 10 sept. 2015, n° 14-20.017 : JurisData n° 2015-019976 ; JCP N 2016, n° 4, 1045, note Ph. Pierre. Note 10 C. assur., art. L. 132-12, al. 2 : « Le bénéficiaire, quelles que soient la forme et la date de sa désignation, est réputé y avoir eu seul droit à partir du jour du contrat, même si son acceptation est postérieure à la mort de l’assuré ». Note 11 Pour le Cridon, le prédécès de l’usufruitière ne frappait pas de caducité la désignation de ses enfants en qualité de nus-propriétaires. Ils devaient donc recevoir la totalité des garanties par parts égales, puisqu’ils avaient bien été nommément désignés et étaient en vie lors de l’exigibilité de la garantie, ni la désignation subséquente des héritiers de l’assuré, ni les dispositions de l’article L. 132-11 du Code des assurances n’étaient donc applicables. Note 12 Pour la cour d’appel, « les nus propriétaires devaient recevoir ces fonds en pleine propriété dès lors qu’ils ont bien été désignés comme tels par la disposante, le démembrement de la clause bénéficiaire démontrant de manière nette que Mme L. a entendu favoriser dans un premier temps Mme Huguette D. sans pour autant compromettre les droits des trois enfants de cette dernière ». Note 13 J.-B. Seube, Caducité et ensemble contractuel indivisible, in Le monde du droit, écrits rédigés en l’honneur de Jacques Foyer : Économica, 2008, p. 925.

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